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Le coin lecture : « Tous des martiens » (partie 4)

Rue de Rivoli. Paris, Les Tuileries. Il fait bien chaud pour la fin de matinée d’un mois de février.
Cela ravit trois dames assises sur des chaises en bois épais à larges accoudoirs juste à l’entrée du parc place de la Concorde. Elles sont très apprêtées, plus toutes jeunes, souriantes ou songeuses. Elles ne parlent pas. La troisième lit, la deuxième pianote sur un large téléphone, la première regarde les promeneurs et répond au bonjour de la patrouille de police harnachée comme des paramilitaires avec le fusil automatique réglementaire. Ces gens-là ne sont pas enclin naturellement à la sociabilisation, mais cette mamie-là est irrésistible. Et elle possède une sorte de prestance, d’autorité qui invite à une démonstration de politesse. C’est d’ailleurs elle, la troisième mamie, qui mène la réunion d’aujourd’hui, en silence, sans un mot, mais il ne faut pas regarder que la surface.

La loi sur le repoussement de l’âge de la retraite à 70 ans passe la semaine prochaine au Sénat, je m’inquiète d’une certaine indocilité, télépathe Mamie-Un.
Pas cette-fois-ci, assure Mamie-Trois. Nous venons de converter douze membres de l’opposition.
Douze d’un coup ? C’est bien, c’est très bien.
Les converteurs que nous réclamions depuis des mois sont enfin arrivés, explique Mamie-Trois. Le mouvement va véritablement s’accélérer.
C’est heureux, lâche Mamie-Un. Et dire que nous moquons la bureaucratie terrienne… Bon, avons-nous tout traité ? Mon corps réclame sa sustentation.
Non Madame. Nous avons eu un voyant à Rennes, intervient Mamie-Deux.
Vraiment ! Il y avait longtemps ! Rien de fâcheux ?
Le voyant a été neutralisé.
A ce point ? Il n’y avait pas de convertitions possible ?
Nos équipes à Rennes l’ont jugé trop doué : on l’avait mis en télétravail, mais il a pourtant découvert dix d’entre nous en une seule journée, rien qu’en se mettant en colère.
Brigue ! Il représentait un vrai danger.

En effet. Il était paradoxalement un travailleur dévoué et un collaborateur véritable force de proposition, précise Mamie-Deux. Rennes, avant d’agir, a diligenté une enquête expresse. Elle a rapporté que le voyant avait déjà découvert une des nôtres à cinq kilomètres de son domicile, près de Coutances, lors d’un accident de voiture avec elle.
Mais pourquoi ? Comment ?
A cause des voitures , justement. »
Mamie-Un lâche un soupir d’agacement.
Qu’est ce que c’est que cette histoire ? Les voitures : vous voulez dire, leurs déplaçoirs ?
Justement non, rectifie Mamie-Deux, la superviseure de la Zone Ouest et fine connaisseuse des humains mâles, bien davantage que Mamie-Un, administratrice de toute la France et des DOM-TOM. Le voyant usait du mot ancien, voiture, pour désigner, son véhicule. Déplaçoir est notre mot à nous, même si en quelques années, continue-t-elle avec une fierté à peine voilée, nous l’avons popularisé auprès des humains.
Ne vous égarez pas, je vous prie, s’agace Mamie-Un.
Je vous prie de prendre mon pardon, s’excuse Mamie-Deux en étouffant une déglutition télépathique. Le voyant possédait un déplaçoir ancien, très différent de ceux que nous contribuons à produire. Il considérait donc sa voiture comme une production de plaisir. Un plaisir socialement quasi délictueux car plus vraiment en phase avec notre époque. Cette singularité l’a ouvert à une certaine perception du monde ; il a vu ce qu’il n’aurait dû pas voir.
Foutus babouins dégénérés…, » peste Mamie-Un en n’épargnant pas les deux autres d’un disgracieux et télépathique raclement de gorge. « Heureusement, la majorité ne voit que la surface des choses, comme avec les pauvres sondes qu’ils envoient chez nous. »
Mamie-Un ne retient pas une grimace qui fait fuir les pigeons parisiens qui en ont pourtant vu d’autres.
Il y en a beaucoup des comme lui, Madame, je me dois de vous le dire, lâche timidement Mamie-deux.
Ah bon ! Mais beaucoup combien ?
Suffisamment pour…. » hésite à révéler d’une voix blanche Mamie-Deux, qui devine par télesthésie l’homérique colère de sa supérieure, « nous causer des ennuis.
Nous voilà bien ! Trouvez une solution. Neutralisez-moi tous ces dingos !
Ça risque de ressembler à des meurtres en série.
Et bien ça fera des infos à suivre à la télé !
Ça va être long à mettre en place, Madame, et j’ai peur que question financements… »
Mamie-Un toise Mamie-Deux et lui sourit d’un air entendu.
Ok, lâchez-là votre solution, Madame la spécialiste du genre humain. à croire que vous vous êtes entichée d’eux.
Certes non, s’empourpre Mamie-Deux. Je suggère que l’on contribue à construire des déplaçoirs moins…déplaçoir, davantage voiture, enfin, dans une perspective humaine : la liberté, un peu de vitesse, histoire de détourner l’attention.
Vous voulez leur donner une carotte, hein ?
Ce sera moins onéreux que le bâton, ose persifler Mamie-Deux. »
Mamie-Un ricane à haute voix. La flicaille qui vient de repasser devant elle la trouve d’un coup moins respectable. Ou alors elle a un Alzheimer, pense le képi qui tient la grosse pétoire. Sale maladie, ça.
Petit gommeux, lâche Mamie-Un », qui lit dans à peu près tout ce qui possède un cerveau, même exigu. Ok pour votre solution. On va leur mettre de la couleur supplémentaire. Ça ira avec le bleu.
Merci Madame. »
Mamie-Un lève une main agacée.
Vous avez une photo de la… voiture du voyant ? Que je vois de quoi il retourne. Quel bout de métal thermoformé peut bien exciter un homo sapiens. On n’est pas mieux ici, rue de Rivoli depuis que l’on imposé une seule file de déplaçoirs ? Franchement ?»
Mamie-Deux effectue une recherche sur son smartphone et tend l’appareil qui affiche une belle Miata rouge de 1991. Mamie-Un jette un œil méfiant, grimace, hausse les épaules et rend l’appareil à sa subordonnée.
« Parfaitement hideux »

Un an plus tard, Mamie-deux est à Rennes pour le semestriel Conseil de l’Ouest. La réunion a lieu dans les locaux de la société du voyant neutralisé l’an dernier justement, car on y étudie étudie la future conversion de l’argile du Bénin en carburant subatomique. Le voyant ne l’avait pas compris, mais ses compétences ont manqué depuis sa neutralisation.
Lors du déjeuner, l’équipe a appris à la superviseure que le bureau d’études a eu du mal trouver un remplaçant au voyant― comme l’avait prédit sa raison. Mais la société a trouvé. Elle a mis le temps,mais elle a trouvé. Personne n’est irremplaçable. Les cimetières sont remplis de gens irremplaçables. Ce qui est le cas de Joachim, même sous un faux nom.
En fin d’après-midi, Mamie-deux fait quelques courses en centre ville avant de trouver un endroit discret pour se téléporter à Paris. Dans la rue, elle remarque une drôle de voiture à un feu. Elle lui dit quelque chose : c’est le même type que celle du voyant, même couleur. Et à Rennes, en plus.
En fait, c’est la voiture du voyant, découvre-t-elle en lisant la plaque d’immatriculation ― sa mémoire est exceptionnelle ; les superviseures ne sont pas recrutées à la légère.
Une femme d’une cinquantaine d’année est au volant. Sur le siège passager se tient une jeune fille; les deux semblent absentes, leurs traits sont tirés. Mamie-Deux les observe et se rend compte que les deux femmes tristes la scrutent également. Leur regard se fait de plus en plus pressant.
Le feu passe au vert. La Mazda ne bouge pas d’un pouce. La mère et la fille persistent à regarder la vielle femme avec un sentiment mêlé d’espoir et d’impuissance.
Comme si, comme si cette vielle femme… savait.

Les coups de klaxon redoublent derrière et la conductrice avance à regret. Mais sa fille ne lâche pas des yeux Mamie-Deux pétrifiée.
Puis la voiture se perd dans la circulation.

Fin.

Auteur : Olivier RODRIGUEZ
Illustratrice : Amélie-Jeanne FRENÇOIS
Relectrice : Cécile Lethielleux
Déclaré INPI, aucune reproduction ni extrait n’est autorisée.

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