L’homme des « ouatures », du diesel, du redressement de PSA mais aussi des grèves et de la suppression d’une grosse partie des effectifs de l’entreprise franc comtoise s’en est allé à l’âge de 88 ans aussi discrètement qu’il aurait pu le faire avec… une voiture électrique.
Avant PSA, Calvet est un « commis » de l’état très politique
Natif de Boulogne-Billancourt, Jacques Calvet suit un cursus étudiant classique pour qui envisage de travailler dans la haute fonction publique.
Dans la première moitié des années 50, il est diplômé de la faculté de droit de Paris puis de l’Institut d’études politiques de Paris ou Science Po’. En 1955, il intègre l’ENA de 1955 à 1957 où il côtoie de nombreux futurs hommes politiques qui feront l’histoire du pays entre 1970 et le début des années 2000.
Après deux années à la Cour des comptes, et durant une quinzaine d’années, c’est à dire jusqu’à l’élection présidentielle de 1974, il travaille dans différents cabinets ministériels toujours proches de Valéry Giscard d’Estaing dont il devient le directeur de cabinet entre 1970 et 1974.
De 1974 à 1982 il officie pour la BNP dont il devient le directeur en 1976 puis le PDG en 1979.
De la banque à l’automobile
En 1982, la famille Peugeot en grande difficulté avec son entreprise fait appel aux compétence de Jacques Calvet pour sauver PSA du naufrage.
L’homme est disponible pour la mission puisqu’avec l’arrivée des socialistes au pouvoir, il a du quitter ses fonctions lors de la nationalisation de la banque durant l’hiver 1982.
Quand il arrive chez PSA, Calvet trouve un groupe industriel en quasi-faillite avec 30.5 milliards de francs de dettes et il doit agir vite et fort pour sauver les meubles et l’un des deux groupes automobiles français.
L’affaire ne se fait pas dans la douceur car l’homme, d’apparence impassible (et presque molle), très conservateur est ferme dans ses convictions et ses projets tout en étant fort pour ne pas dire brutal dans ses méthodes d’action au sein de PSA.
Le plan qu’il met en place pour le groupe automobile est dur et pénible pour les salariés puisque Jacques Calvet va jusqu’à se séparer de près de la moitié du personnel de l’entreprise (~50.000 salariés) et sacrifie la marque Talbot sur l’autel de la rentabilité.
On se rappellera la difficile année 1989 avec les grèves sur les sites de Mulhouse et Sochaux à la suite du refus de la direction du groupe de procéder à des augmentations de salaire pour les personnels de PSA.
Cette même année, il perd le procès intenté contre les Guignols de l’Info mais se lance dans une procédure judiciaire contre Le Canard Enchainé qui avait eu l’audace de publier ses revenus et notamment ses feuilles d’imposition.
[ndla : Jacques Calvet touchait alors 180.000 francs/mois ou 27.500€/mois – en 2018, Carlos Tavares a touché une rémunération mensuelle d’environ 633.300€/mois soit 23 fois plus que Jacques Calvet. Il y a presqu’autant de différence entre le salaire de Tavares et celui de Calvet q’entre celui de l’ancien patron et la moyenne de la rémunération des salariés de PSA en 1988/1989]
En 1997, quand il quitte ses fonctions pour laisser la place à Jean-Martin Folz, Jacques Calvet a remis PSA sur de bons rails économiques, grâce à des produits Peugeot et Citroën qui se vendent (PSA est alors n°3 européen avec près de 12% du marché), mais aussi financiers puisque l’entreprise dispose alors de 17.6 milliards de fonds propres et d »une action PSA qui se situe à un bon niveau en bourse.
Jacques Calvet et ses ouatures
S’il n’est pas tout à fait l’homme de la 205, il est celui qui a accompagné son développement et sa progression sur les marchés. Il est celui qui pousse Peugeot en rallye mondial avec la 205 T16 mais aussi un peu plus tard en rallye-raid avec Citroën même si l’aventure de la marque aux chevrons sera durablement ternie dans le monde automobilo-sportif par l’accident et l’affaire Jean-Luc Thérier.
Toujours autour du rallye, il est celui qui propulse Jean Todt du rôle de copilote à celui de patron d’écurie sportive qui gagne.
Il fait aussi passer Peugeot du rallye à l’endurance avec la 905 Evo 1B qui remporte notamment les 24 Heures du Mans en 1992 et 1993.
On gardera aussi à l’esprit le développement dans les années 80 du fameux PTS et de la possibilités offertes à presque tous de courir en rallye avec les Peugeot 205 Rallye, Samba Rallye ou les Citroën AX Sport.
En 1987 puis 1988, il envoie à Pikes Peak les 205 T16 puis 405 T16 pour jouer la victoire. Si la 205 échoue derrière l’Audi Sport Quattro, l’année suivante, la 405 T16 (une 205 T16 recarrossée) l’emporte entre les mains d’Ari Vatanen.
On notera que sous la gouvernance Calvet, on a souvent lié la promotion d’un modèle à sa présence en compétition ce qui était une vraie nouveauté chez PSA et surement une très bonne idée puisque cela a participé à la notoriété de Peugeot.
Toutefois on gardera à l’esprit que le patron du groupe, n’était pas un amateur de sport automobile et qu’il disait : « La compétition ne fait rien vendre, d’ailleurs Volkswagen vend plus que nous sans faire de sport automobile. »
Jacques Calvet était aussi l’homme du diesel, au point d’en faire une quasi marque « de fabrique ». Il est celui qui a fait le nécessaire pour imposer les petits moteurs diesels jusque que sous le capot des citadines. Les 205 et AX en sont les témoins.
Il a aussi tenté de faire monter en gamme Peugeot et Citroën mais on ne peut pas dire qu’avec les 605 et XM il est connu un grand succès notamment face aux allemandes qu’il voulait déloger.
La Peugeot 605 étant notamment l’auto qui lui a causé quelques soucis avec Canal+ et ses Guignols de l’info qui adoraient mettre en avant les fameux problèmes de « ouature » du patron de PSA.
Le puissant Jacques Calvet avait d’ailleurs poussé l’affaire jusque devant les tribunaux lorsque l’équipe de marionnettistes avait assuré plusieurs fois, haut et fort, vers 20h00 que la 605 était la voiture la moins polluante du marché car elle roulait uniquement accrochée derrière une dépanneuse !
Jacques Calvet a aussi fait passer Peugeot au tout traction après la disparition des 505 et 604. Bien qu’amateur de diesel et de Turbo diesel, il fut aussi un des premiers à penser à la voiture électrique comme moyen de transport au quotidien avec la mise sur le marché des Peugeot 106 Electric et Citroën Saxo électrique après la présentation en 1993 de l’AX Electric et de sa borne de recharge.
Les « citroënistes » et les « peugeotistes » garderont de l’ère Calvet, le souvenir des 205, 306, 405, 406, 505 Turbo Injection mais aussi AX, BX, CX GTi Turbo, ZX et Xantia (notamment l’Activa).
Les amateurs de Simca et de Talbot » n’auront pas le même point de vue sur cette période puisque le patron du groupe « tue » la marque en 1986-1987.
Un conservateur à la française
Jacques Calvet fut aussi un fervent défenseur de l’automobile française puisque durant de nombreuses années il combat l’ouverture des frontières européennes aux voitures japonaises. Il fut de ceux qui craignaient que les 4 grandes marques nippones dévore l’industrie française. Il se battit d’ailleurs assez longtemps pour le maintien des fameux quotas d’importation qui faisaient, à l’époque, qu’une fois l’été arrivé, il n’y avait plus de voitures japonaises disponibles à la livraison avant le mois de janvier suivant.
Il n’était pas non plus un grand soutien à la construction européenne telle que nous la connaissons. En effet, il s’est opposé fermement au traité de Maastricht et à la monnaie unique.
Une fois « rangé » des voitures en 1997, il a tenté de faire un peu de politique mais sans succès puis, comme beaucoup de grands patrons, il est parti siéger dans de nombreux conseils d’administration de grandes entreprises.
La réaction officielle de l’actuel patron du Groupe PSA
C’est via un communiqué transmis aux agences de presse que Carlos Tavares à commenté cette disparition et de dire :
« C’est avec une grande tristesse que j’apprends le décès de Jacques Calvet et je tiens à exprimer au nom de tous les salariés du Groupe PSA nos sincères condoléances à son épouse et à sa famille.
Jacques Calvet, grand visionnaire, a dirigé l’entreprise de 1984 à 1997, pour en faire un constructeur automobile de premier plan. Je tiens à saluer la mémoire de ce grand capitaine d’industrie qui nous quitte, doté d’un rare courage et d’une détermination sans faille qui doit nous inspirer.
Au regard de la crise que nous traversons, son exemple nous oblige et nous engage à protéger l’entreprise dans l’intérêt de ses salariés, comme il a toujours su le faire »
On notera enfin que Jacques Calvet est né à Boulogne-Billancourt et qu’il est décédé à Dieppe, c’est à dire sur les terres de l’adversaire direct puisque ces deux villes sont liés à l’histoire de Renault et d’Alpine.
Via PSA, AFP, AP, Wikipédia.