Actualité

Vive le réel !

Pourquoi je ne dirai rien sur les 24 Heures virtuelles inventées par l’ACO et ses partenaires commerciaux ? Tout simplement parce que je suis un vieux machin. Oui. Et alors ? Nous sommes des millions ainsi. Des millions à cultiver les souvenirs de ce que nous avons vécu ‘’sur’’ le circuit. Pour moi ça va des rêves de victoires que j’y ai fait, de celle-ci en 1980, des nombreuses fois où j’ai pu faire partager ma passion aux lecteurs de cet événement planétaire. Si certains veulent substituer la réalité au virtuel, ça les regarde/ Moi mes 24 Heures, c’est, entre autre, ça 

LE PASSAGE DE LA CUNNIGHAM C4R DE BRIGS

Juin 1953 : Je viens juste d’arriver dans ce monde. Trois années pile poil que j’ai débarqué. Au début, c’était un peu confus. D’abord avant il n’y avait rien. Maintenant dans ma tête, c’est plus clair. Je sais marcher, manger tout seul, rire, pleurer quelquefois. Tous ces trucs que je fais mettent en joie ma maman. Il n’y a pas très longtemps que je sais qu’elle s’appelle maman. Ça fait rire aussi papa, lui je le reconnais maintenant. Mais j’ai su que c’était lui parce que maman me l’a dit. Il est moins souvent là. Je le vois le soir juste avant de m’endormir. Sauf des fois quand on va se promener. Là, aujourd’hui, on se promène. C’est drôle parce d’habitude on va à Fifine «pour que je patouille» disent mes parents.

Là, aujourd’hui, on va loin. Moi, je suis dans un cageot coupé en deux, installé sur l’avant du vélo de papa. Maman et tonton André, il s’appelle André, comme papa. Beaucoup de messieurs en canadienne s’appellent André en ces temps-là. Ils sont eux aussi à vélo. Qu’est-ce qu’il y a comme vélos qui vont au même endroit.

Ah, ça y est. On descend. Papa me monte sur ses épaules. Du monde, plein de monde, ça sent bon et il y a comme des postes de radio accrochés dans les arbres. Je suis déjà venu dans ces bois. Il y fait bon. Dans la radio des pins, il y a maintenant un monsieur qui parle. Je ne comprends pas tout ce qu’il dit. Papa s’avance vers une rangée de gens et nous faufile. En fait, devant, juste derrière la palissade, il y a un petit mur en espèce d’herbe qui court tout au long d’une route. Plus loin, à notre droite, elle s’en va juste avant un tas de sable. J’irais bien jouer dans le sable moi mais je crois qu’on n’a pas le droit. Il y a un agent et des messieurs derrière. Celui de la radio des arbres crie de plus en plus fort. J’ai faim. C’est l’heure du goûter. Maman a dû oublier. Ça ne lui arrive jamais d’habitude. J’ai un peu chaud sur les épaules de papa.

D’un seul coup, tout le monde regarde vers la droite, de l’autre côté du tas de sable. Il y a comme une descente. Ça vient de là.

D’un seul coup, un bruit immense. C’est bleu, c’est vert, c’est rouge, il y a même un peu de jaune. Des voitures très petites, très basses passent toutes ensemble devant nous, sur la route où il n’y avait rien tout à l’heure. Je ne comprends plus rien. Du bruit. De plus en plus de bruit. Qu’est ce qu’on fait là. Je veux pleurer. Hurler. Mais rien ne sort. J’ai la bouche ouverte. Je cherche de l’air. Doucement, ça se calme. Les bagnoles, je sais déjà qu’on peut dire bagnole, qui passent encore vont moins vite. Elles font moins de bruit aussi. Je reconnais tout à la fin la voiture de tonton André. Celle que papa appelle la 4 pattes. Mais c’est sûr, c’est pas lui. Il est venu avec nous en vélo. Je sais plus que faire. Je tremble. L’air tout autour de moins revient peu à peu mais je n’arrive qu’a en saisir quelques toutes petites lampées. Papa rigole. Il est très heureux et ça se voit. Comme tonton et tous les gens autour. Ils se mettent à parler entre aux alors qu’ils ne se connaissaient pas avant que passent ces drôles d’engins si bruyant. Je suis désormais heureux. Plus de raison d’avoir peur. Ils ne vont plus me refaire le coup de la surprise. Je les attends maintenant. Impatient et terriblement gourmand.

Et voilà que ça recommence. Mais cette fois, elles passent les unes après les autres. Et puis, d’un seul coup, il y a ce truc blanc qui hurle beaucoup plus fort que les autres. Il a comme une grande bouche devant. Une grande bouche toute noire. Dans tout mon corps, ce n’est qu’une vibration qui me secoue de la tête aux pieds. Elle se vrille en moi. Je n’ai surtout pas mal. Au contraire. Je suis heureux ! Alors sans trop savoir ce que je dis, je m’accroche aux cheveux noirs et frisés de mon père et dans le vacarme des bolides qui passent encore, je lui hurle :

– La blanche, elle m’arrache les tripes !

Nous restons longtemps accrochés aux palissades en bois de châtaigner. Presque jusqu’à la nuit.

Depuis ces 24 Heures du Mans 1953, je suis écologiste à temps partiel.

C’étaient mes premières 24 Heures. La voiture blanche était une Cunningham. Une grande partie de ma vie d’homme s’est joué sans doute à ce moment là. Au niveau des tripes.

Jean-Michel Le Roy

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