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Le coin lecture :  » Tous des martiens » (partie 2)

Adieu, la 106 XSI. Joachim a été remboursé trop chichement par l’assurance : mille euros, moins deux cents euros pour la garder. La Peugeot est désormais considérée par l’administration française comme une épave avec carte grise valable. Elle a obligation d’un CT passé avec mention pour avoir le droit de remettre une roue sur la route. Et de se faire occire par des croulant.es qui débaroulent sur la chaussé en marche arrière.
Après avoir envisagé de quérir à nouveau une caisse, Joachim a considéré que l’aventure 106 était terminée. Finie en eau de boudin, mais terminado : pas la peine d’écrire une suite affligeante, on n’est pas dans StarWars.
Joachim a revendu la XSI à un petit jeune de Tessy-Sur-Vire qui refait actuellement une Roland Garros première phase. Avec toutes les pièces neuves que Joachim a posé dans sa sportive chérie, le gamin allait se régaler. Joachim, lui, a perdu beaucoup dans cette histoire. Il l’aimait cette voiture. Foutu seniors ! Et dire qu’on va devoir travailler plus longtemps pour payer la retraite de ces vieilles toupies qui prennent nos bagnoles de collection pour des auto tamponneuses !

Adieu, la 106 XSI. Joachim possédait le modèle avec le moteur de treize cent centimètres cubes.
Cette Peugeot, il faut le redire, est la meilleure voiture au monde. Elle partage le podium avec la Mazda MX5,alias la « Miata », la Phase 1, le modèle avec cent quinze chevaux, « nez long » ― important, le nez long.
Et aussi, sur la même marche, trône la Mini, sortie en 1959 par le constructeur britannique Morris, dessinée par Alec Issigonis et tellement en avance sur son temps : traction, moteur transversal, jointures de tôle à l’extérieur pour gagner de la place, répartition du poids avant-arrière soixante-quarante, centre de gravité bas ― très bas― consommation comme si le constructeur avait prévu un choc pétrolier quinze ans plus tard.
Pourquoi parler de ces trois voitures ? Parce que Joachim a possédé un modèle de chaque. Il a conservé la Mini quatre ans puis s’en est séparé en 2016 pour acquérir la 106. La Britannique a été vendue sans regret. Une Mini, il faut l’acheter avec le moteur de mille deux cents soixante quinze centimètres cubes ou pas. Lui s’était bêtement entiché d’une mille centimètres cube. La puce était belle, mais elle manquait de gouache. Joachim possède toujours sa MX-5 NA. NA, comme Phase Un. La MX-5- NA, c’est le cabriolet rouge qui a les phares qui se lèvent.
Tout le monde la connaît, et vous qui lisez venez de tilter.
Au moment où cette Histoire Vraisemblable est écrite, la constructeur Mazda en est à sa quatrième déclinaison de MX-5, la ND. C’est le cabriolet le plus vendu au monde, toutes versions confondues.
La Miata, première du nom, est le cabriolet. C’est une stricte deux-places conçue par des Japonais sur les conseils d’un États-unien qui leur a suggéré en 1979 de réinventer le roadster anglais, les petites découvrables des années cinquante, soixante et soixante-dix aussi charmantes que déroutantes. Il est écrit « déroutante », car il s’agissait à leur volant de ne pas « dérouter » en cas de pluie ou de virage un peu serré ― ou les deux. La faute à des suspensions de calèche, un châssis de voitures à pédales, un volant vertical au service d’une direction qui en ignorait la signification et une certaine légèreté dans la conception des freins ― des quoi ?
Après douze ans de développement ― un délai impensable à n’importe quelle époque de l’histoire de l’automobile ; l’expression on est large est faible pour décrire telle liberté ― on peut se demander si les ingénieurs de Mazda n’ont pas foiré leur hommage : dès sa sortie en 1989, la MX-5 s’est révélée être un must… très italien. Hautement fiable et sécurisante.
La MX-5 n’est pas anglaise du tout. Elle n’a rien d’une interprétation moderne des cabriolets grands-britons MG, Austin Healey et Triumph ― un peu méchamment dénigré dans les lignes qui précèdent, mais l’amour rend toujours aveugle et ces machins possèdent de belle carrosserie, des moteurs increvables, mais c’est tout. Et c’est peu.

L’honnêteté pousse à concéder que la MX-5 a emprunté quelques menues formes à la Lotus Elan ainsi que le mantra de son concepteur : light is right. Comme l’Anglaise du visionnaire Colin Chapman, le plaisir de la Miata réside dans son poids contenu, neuf cent soixante-quinze kilos. Pour le reste, la Japonaise propose un moteur longitudinal avec un double arbre à cames en tête contenue dans une culasse seize soupapes, géré par une boite à cinq vitesses. Autour de cette affaire, parade une carrosserie toute en rondeur posée via une double triangulation avant et arrière sur quatre roues freinées par des disques.
Dès lors, c’est bien à Lancia, Alfa Romeo et Fiat que les ingénieurs de Mazda ont rendu hommage ― que ces derniers le veuillent ou non.
La modernité automobile est une affaire italienne; les spécifications de la MX-5 étaient déjà en usage au milieu des années soixante de l’autre coté des Alpes. La Miata est une Fiat cabriolet 124 2000 CS0 revisitée, une Alfa Romeo Spider à l’ère des années quatre-vingt dix. Et, à l’inverse de certaines Italiennes à l’acier mal recyclé à l’époque, cerise sur le gâteau, la MX-5, première du nom, n’a jamais rouillé à peine sortie de sa chaîne de fabricaction.
Mais une MX-5 NA, ça peut rouiller quand même. Alors Joachim a mis le prix, en 2020, pour en dégoter une qui n’a pas connu la merguez. Ou seulement la vraie ― pas rhétorique ― que l’on mange dans du pain avec des frites, de la sauce mayo et une grosse serviette en papier pour ne pas tacher les sièges… On ne mange pas dans la Miata de Joachim.
Il l’a payée chère, sa Japonaise rêvée, celle qui, en 1989, a arrondi un univers automobile rectangulaire, celle pour laquelle il a pensé très fort : « un jour, tu seras mienne », bien avant Wayne’s World .
Il a quand même lâché huit billets pour la beauté, sa capote neuve et son toit en dur pour l’hiver. Mais ce hard-top au ton caisse est juste beau. L’accessoire transforme la voiture en bolide de course ― il fait la joie des photographes ― mais le plaisir de conduire une Miata se passe des vibrations et autres bruits intempestifs qu’il produit à haute vitesse.
Quand on écrit « haute vitesse », c’est du ressenti. Dans une MX-5, la sensation s’impose dès quatre-vingt kilomètre heures. Nul besoin comme dans une Porsche 911 ou une Ferrari 458, de trois chiffres pour se sentir Juan Manuel Fangio. Elles sont des voitures de sport, la Miata est une voiture sportive : elle ne livre pas des performances, elle offre des sensations.
Merci, le centre de gravité très bas ― presque comme celui de la Mini ― qui vous fait intime avec la route; on ne monte pas dans une MX-5, on y descend. Merci, la direction assistée et précise qui donne les informations utiles de l’état de la chaussée.
Merci, la propulsion magnifiée par une exquise réparation des poids cinquante-cinquante. Le dispositif provoque à chaque virage serré pris au point de corde des picotements dans le ventre. Merci, les liaisons au sol qui rendent la voiture confortable même après mille kilomètres à son bord, et très sécurisante ; seule notre inattention, notre bêtise ou notre inconscience peuvent être à l’origine d’une sortie de route intempestive… Ou une retraité qui sort de chez elle en marche arrière alors que « ça fait vingt-cinq ans… »

Ce vendredi matin de janvier, Joachim passe à trente kilomètre heure devant la maison de la vieille. Et tant pis pour le gusse qui fait des appels de phares derrière : un autre machin comme ça et il se fera assassin. C’est la seule voie pour rejoindre l’A84 pour Rennes. A moins de faire un détour de dix kilomètres… Si ça n’avait tenu qu’à lui, il l’aurait envisagé, le détour, mais Joachim est comme tout le monde : sa raison lui parle. « Sois pas ridicule. Tu fais juste attention, voilà tout. »
Et Joachim lui répond.

― Mais si ça recommence ? Je ne veux pas qu’elle finisse à la casse, elle aussi !
― Ça n’arrivera pas. La nouvelle carrosserie de la 106 avait une vieille peinture. Elle ne faisait pas très restaurée.
― Et pourtant, elle l’était…
― Je sais bien. Écoute, tu viens de faire expertiser la MX-5 : elle a pris deux mille euros. Tout va bien.
Pour la 106, le temps faisait son œuvre, tout ça..
Sa raison n’avait pas tort.

Aujourd’hui est le jour où Joachim n’est pas en télétravail. Il doit rallier sa société à Rennes pour la journée. Ça fait deux cent cinquante kilomètres allez-retour. Ce n’est pas rien, mais il s’en sort bien vu que le télétravail n’est pas le style de sa boîte. C’est que Joachim est du genre à pousser les murs. Quand il veut quelque chose ― sa tranquillité, principalement ― il y met de la persuasion, de l’ardeur. Le quinquagénaire est connu dans la taule pour ne pas compter ses heures ni distinguer la semaine du week-end quand il faut rendre une étude. Sa boss le lui rend bien et lui permet ce qu’elle déconseille aux autres.
Tant mieux, parce que les autres, ceux de son bureau en tout cas, ne prisent pas le télétravail. « Le domicile est l’endroit de la famille », qu’ils disent. Pas faux, mais Joachim tente souvent de leur expliquer sa vie à lui, aux collègues ; quand on vit seul, séparé, dans une vieille maison au milieu de nulle part (du Cotentin, synonyme), de ses livres et de ses vinyles, le domicile est autre chose, une entité vivante.
Sa routine, c’est la lecture de romans piochés dans les boîtes à livres, l’écriture de nouvelles, des heures passées dans son double garage avec sa Miata et la Fulvia Coupé. Oui, Joachim possède également la Lancia, élégant prodige mécanique turinois qu’il n’en finit pas de restaurer. Il n’est pas sûr d’en voir le bout, mais ce n’est pas grave.
Pour clore le sujet : la Lancia Fulvia est la quatrième voiture sur la première place. Il leur a expliqué tout cela, aux collègues, Joachim. Surtout l’amour que l’on peut porter aux belles voitures. Ils n’ont pas eu l’air de comprendre ; sourire poli, regard entendu entre eux : z’en seraient presque suspects, les tropes de Joachim, bien désuets à tout le moins.
Ou alors ses collègues n’ont rien pigé.

Mais là, ils vont voir.

A suivre…

Auteur : Olivier RODRIGUEZ
Illustratrice : Amélie-Jeanne FRENÇOIS
Relectrice : Cécile Lethielleux
Déclaré INPI, aucune reproduction ni extrait n’est autorisée.

Olivier Rodriguez

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