
Tout le monde en parle : l’endurance vit un âge d’or depuis quelques années en cette ère d’Hypercar et de LMGT3. Les constructeurs se pressent au portillon pour engager leur nom dans ce championnat.
Les nivellements à base de Balance of Performance (BoP) font parler mais permettent aussi des batailles à couteaux tirés entre marques mythiques, des rebondissements, du spectacle, du rêve pour les amateurs de sport automobile.
Les technologies sont variées, les moteurs, les sonorités, les couleurs, les designs, afin de nous proposer un plateau qui fait rêver et qui restera dans la grande Histoire de l’automobile et des sports mécaniques.
Pour ma part, habitué à couvrir les courses d’endurance avec mon appareil photo depuis une dizaine d’années, voilà le joyau qu’il me tardait de découvrir en bord de piste : les 24 Heures du Mans.
Sésame obtenu auprès de l’ACO cette année, le Graal se présente à moi : la plus grande course du monde. Le poids d’une certaine responsabilité, presque : celle de tout donner pour ramener des images à partager, des histoires, des souvenirs pour l’éternité ou presque.
Voilà donc comment, après quatre jours d’une intensité sans pareil en ces lieux mythiques, j’aimerais vous faire toucher du doigt ce que sont les 24 Heures du Mans : une expérience multisensorielle.
C’est d’abord le son, ou la musique, qui vous frappe en premier. Débarqué au niveau du virage d’Arnage au premier jour, les monstres mécaniques me frôlent et me font vibrer de la tête aux pieds. Le V6 de l’Alpine A424 à la sonorité pure, le grondement bestial du V8 de la Cadillac V-Series R, l’explosivité redondante des Oreca 07 monotype formant le plateau LMP2… Toutes différentes, toutes envoutantes ! Mais s’il y en a une qui a elle seule justifierait le déplacement dans la Sarthe, c’est la nouvelle star du plateau : l’Aston-Martin Valkyrie avec son V12 atmosphérique. Strident comme à l’ancienne, presque poétique, un régal pour tout passionné de sport automobile.
C’est ensuite le visuel, naturellement en tant que photographe, qui prend le dessus. Photographier une course de 24 heures dans un lieu autant chargé d’histoire, c’est chercher des repères comme la mythique passerelle Dunlop, des angles de vue au milieu de la forêt, des spots nocturnes avec la grande roue, des points de vue stratégiques avec les couchers de soleil…
Et le soleil s’est malheureusement fait rare pour cette 93eme édition. Pas un rayon ou presque en ce samedi 14 juin depuis le départ à 16h00, mais plutôt le cauchemar du photographe : un ciel blanc, livide, sans contraste, sans ombre, sans teinte. Placé stratégiquement à Indianapolis pour couvrir le coucher de soleil, je commence doucement à me résigner alors qu’il est 20h30 et que la lumière descend sans la moindre lueur chaude.
Sur le chemin des paddocks, le miracle se produit alors : voilà le soleil, proche de l’horizon, qui se montre enfin. Machine arrière, il faut vite se remobiliser pour trouver le bon angle, les bons réglages, pour un spectacle qui va durer quelques minutes seulement. La pression est réelle et il y a de l’électricité dans l’air pour les quelques photographes en bord de piste à ce moment-là. Juste le temps de capturer quelques images et c’est déjà fini, le soleil s’en va et laisse doucement place à la nuit Mancelle.
Une nuit qui est elle aussi l’occasion d’immortaliser quelques symboles : disques de freins et autres échappements rougeoyants, flammes, feux d’artifices, numéros de course éclairés ! Challenge difficile lorsqu’il fait nuit noire à minuit passé et que les limites de l’appareil photo se font sentir, mais challenge relevé avec ce superbe show mêlant drones et feux d’artifice au-dessus du plus beau spectacle du monde.
Quelques heures plus tard, alors que la fatigue se fait sentir, c’est l’odorat qui prend tout son sens. En pitlane au petit matin après une nuit d’action, il est temps de se mélanger avec ces acteurs, ces héros, que sont les pilotes, les mécaniciens, les marshalls et les ingénieurs de course… Le départ en trombe d’une Ferrari 296 GT3 laisse alors planer une odeur de gomme tandis que la chaleur de la mécanique et les effluves de carburant créent une atmosphère unique. Les visages sont marqués par la fatigue bien-sûr, mais aussi par la tension des leaders et la désillusion de ceux à qui il est arrivé mésaventure à cause d’un accrochage, d’une sortie de piste ou d’un problème mécanique.
Enfin, alors que l’horloge se rapproche du tour complet, c’est l’aspect physique qui vous rattrape. Le circuit est grand, c’est ce qui fait en partie sa beauté et cela implique de longs kilomètres de marche pour capturer toutes ces images. A raison d’une vingtaine de kilomètres par jour avec 15 kg de matériel sur le dos, ce sont rapidement les muscles qui vous lancent des signaux. Mais il est bon de les ignorer, lorsque l’on vit le rêve éveillé d’immortaliser les 24 Heures
Après quatre jours et plus de 80 kilomètres au compteur, il n’y a aucun regret, juste des souvenirs, des étoiles dans les yeux…et des courbatures.
Sur le plan sportif, ce sont les Italiennes qui auront brillé à nouveau cette année, avec une domination Ferrari des grandes heures. La 499P numéro 83 de Yifei Ye et Phil Hanson, portée par un immense Robert Kubica remporte la mise, et c’est tant mérité lorsque l’on connait son douloureux parcours. Un symbole de résilience.
Le chemin sans faute de la Porsche 963 n°6 mené par un toujours excellent Kevin Estre en compagnie de Laurens Vanthoor et Matt Campbell les mèneront à 14 secondes du sacre. Un crève coeur pour le Porschiste qui vous écrie et surtout pour ces trois hommes qui auront mené une remontée historique depuis la dernière place mais qui échouent donc en 2eme position. Le podium est complété par la Ferrari 499P n°51 d’Allessandro Pier Guidi, James Calado, et Antonio Giovinazzi.
En LMP2, c’est l’équipe Inter Europol Competion qui s’impose avec le français Tom Dillmann et ses coéquipiers Jakub Smiechowski, Nick Yelloly tandis qu’en LMGT3, c’est un nouveau récital du Porsche-Manthey avec le vétéran Richard Lietz qui aura su faire bénéficier de son rythme et de son expérience ses compères Ryan Hardwick et Riccardo Pera pour s’imposer.
J’espère que vous prendrez autant de plaisir à parcourir ces photos que j’en ai pris pour vous les fournir.
Le rendez-vous est pris pour les prochaines éditions du Mans et du Championnat du Monde d’Endurance, qui n’a pas fini de nous éblouir !
Texte et photographies : Nicolas Verneret pour The Automobilist.